Vendredi 28 mars 2025, Mounir Boutaa a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans par la cour d’assises de la Gironde pour avoir assassiné Chahinez Daoud le 4 mai 2021 à Mérignac. Fatima Abderrebi, membre de l’Assemblée des Femmes, a pu assister à l’intégralité du procès qui s’est tenu à Bordeaux du 24 au 28 mars.
C’est l’histoire d’une femme de 31 ans, Chahinez Daoud, arrivée en France en 2015 après avoir rencontré son futur mari Mounir Boutaa en Algérie. Chahinez avait deux enfants d’un premier mariage, et un dernier petit garçon de son union avec Mounir Boutaa.
En 2021, alors que Chahinez avait déjà porté plainte à plusieurs reprises contre son mari pour violences conjugales et que celui-ci avait déjà effectué de la prison pour ce motif, le couple s’était séparé. Le 4 mai 2021 a marqué tous les esprits en France, et en particulier, toutes les femmes qui vivent dans la peur de mourir sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint… Ce jour-là, Mounir Boutaa a tiré à deux reprises dans les jambes de Chahinez, avant de la brûler vive non loin de leur domicile de Mérignac.
Le procès du meurtrier s’est ouvert à Bordeaux le 24 mars 2025. En arrivant devant le Palais de Justice, j’ai été saisie par la vague immense de soutien envers les proches de Chahinez. Les photos de Chahinez, les banderoles, les parents qui font les cent pas en essuyant leurs larmes, la foule qui attend sur les marches, les amies, les associations d’aide aux femmes victimes de violences, les militantes féministes qui resteront toute la semaine devant le Palais de Justice… Avant même d’entrer dans la salle d’audience, j’étais déjà imprégnée d’émotion et de colère.
« Je veux que mon père oublie que j’existe »
Les premiers jours du procès ont vu se succéder les témoignages : le frère de Mounir Boutaa, son ex-femme, des voisins, la famille Daoud, et bien sûr l’accusé lui-même, interrogé à plusieurs reprises par la présidente. Plusieurs experts ont été entendus sur le profil psychologique de l’accusé.
Une voisine de Chahinez a été témoin direct des faits en 2021. Elle a relaté l’horreur : « J’ai entendu deux détonations. Je pensais que c’étaient des gamins qui jouaient avec des pétards… Et là j’ai vu, juste en face, à quelques mètres, une femme étendue sur le dos. Et il y avait ce taré, il n’y a pas d’autres mots, qui déversait du liquide inflammable sur elle. J’ai crié mais il a eu le temps d’allumer le briquet deux mèches, et c’était fini… Et quand il s’est relevé, il m’a braquée avec un pistolet avant de s’enfuir. »
L’administratrice ad hoc Adeline Gouttenoire, dont la mission est de représenter l’enfant du couple tout au long de la procédure, est également intervenue. Elle a fait entendre la voix du jeune garçon, Said qui avait 5 ans au moment des faits. Alors même que Said n’a pas pu être entendu compte tenu de son jeune âge, il a tenu à s’exprimer à travers son administrateur ad hoc avec ses propres mots : « Je veux que mon père oublie que j’existe. »…
Après un féminicide, le sort des enfants est une question centrale. Chaque année, on dénombre environ 100 à 150 enfants qui deviennent orphelins à la suite d’un féminicide en France. Quel devenir pour eux ? Quelle est la prise en charge prévue par l’Etat et par les services de protection de l’enfance ? Sous quel statut ces victimes silencieuses peuvent-elles se reconstruire ?
Contrôle coercitif
Les débats tout au long du procès ont permis de comprendre que les violences ont commencé dès l’arrivée en France de Chahinez. Elle avait peur en permanence, elle se savait presque condamnée, ont témoigné quelques-unes de ses amies. Son mari l’a rapidement isolée de sa famille et de ses amies et a bloqué ses comptes sur les réseaux sociaux; il contrôlait tous ses déplacements, même les plus routiniers, pour emmener ses enfants à l’école, par exemple. Il a confisqué tous les papiers administratifs et d’identité de Chahinez et les a déchirés, afin de s’assurer qu’elle ne puisse pas s’enfuir ni retirer de l’argent à la banque.
L’ex-conjointe de Mounir Boutaa, qui est venue témoigner lors du procès, a elle aussi décrit une relation émaillée de violences : elle parle de « petits coups de poing », de « petites claques », d’ « emprise »…
On retrouve dans tous ces agissements de Mounir Boutaa les stratégies habituelles que les agresseurs conjugaux déploient pour enfermer leur victime dans la peur. Me Julien Plouton, l’avocat de la famille Daoud, a employé le terme de contrôle coercitif pour décrire ce qu’a vécu Chahinez, un terme repris par la cour d’assises dans son délibéré.
« Ce n’est pas moi qui ai tué Chahinez, c’était juste mon corps »
Tout au long des débats, Mounir Boutaa n’a fait que réitérer sa version des faits : il ne voulait pas la tuer, il voulait juste lui faire peur ! « Ce n’est pas moi qui ai tué Chahinez, c’était juste mon corps. Moi, je ne me suis pas reconnu à ce moment-là. Madame la présidente, je vous assure, c’est bizarre, mais c’était pas moi. Moi je suis gentil. Je ne voulais pas la tuer, c’est quand j’ai vu les photos dans le téléphone et que j’ai pensé qu’elle me trompait, que son amant et elle me prenaient pour un con, que ma tête a craqué. J’ai fait ce que j’avais à faire, elle a crié une fois, et à la deuxième c’était fini. »
Je vous laisse imaginer la stupéfaction des personnes présentes dans la salle d’audience en entendant ces propos… Comment cet homme que tout accuse pouvait-il se dresser face à la cour et à la famille de la victime et tenir de tels propos dépassant toute décence ?
Une série de dysfonctionnements judiciaires
Au-delà des agissements de l’accusé, c’est le fonctionnement de la chaîne judiciaire qui interroge dans cette affaire.
Chahinez a déposé une dizaines de plaintes . Comment expliquer qu’elle n’ait pas été protégée ? Comment Mounir Boutaa a-t-il pu continuer à la harceler et à la menacer depuis sa cellule de prison ? En 2021, un mois environ avant d’assassiner Chahinez, Mounir Boutaa l’a agressée une fois de plus. Malgré une nouvelle plainte de Chahinez, il n’a pas été arrêté, alors même qu’il avait été condamné l’année précédente à 9 mois de prison ferme ainsi qu’à une obligation de soins et à une interdiction d’entrer en contact avec elle !
L’explication de cette terrible absence de protection tient dans une série de manquements judiciaires. Un officier qui n’a pas été au bout de l’enquête, un agent lui-même déjà condamné pour violences conjugales, des échanges d’informations insuffisants entre la police et la justice, une plainte rédigée de manière illisible…
A l’énoncé du verdict – réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans – la famille Daoud a été soulagée de la décision de la cour. Pour ma part, j’ai été saisie à nouveau par l’émotion devant la solidarité exprimée par tant de personnes tout au long du procès. Mounir Boutaa a fait appel du verdict.
Fatima Abderrebi s’est entretenue avec Adeline Gouttenoire, professeure de droit à l’Université de Bordeaux et présidente de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance en Gironde. Dans l’affaire du meurtre de Chahinez Daoud, elle est également l’administratrice ad hoc de l’enfant du couple, âgé aujourd’hui de neuf ans et qui avait cinq ans au moment des faits. Elle répond à nos questions sur les droits de l’enfant victime de féminicide conjugal et sur le rôle et les missions de l’administrateur ad hoc.
Retrouvez son entretien ci dessous.