L’Afghanistan, le pire pays où naître pour une fille

Photographie : Manifestation du 29 janvier 2022 devant l’Ambassade de Norvège à Paris

Le 27 novembre 2021, trois mois après la prise de Kaboul par les milices talibanes, Geneviève Couraud, secrétaire générale de Negar-Soutien aux femmes d’Afghanistan et présidente d’honneur de l’Assemblée des femmes, prenait la parole devant la mairie de Marseille, pour parler du combat des femmes afghanes.

“Parce que c’est dur de constater cet effroyable répétition d’une séquence de l’histoire que nous ne connaissons que trop, et d’assister à ce bégaiement, ce hoquet de l’histoire qu’est le retour des milices talibanes. C’est encore plus dur pour les femmes qui sont en ce moment en Afghanistan.

« L’Afghanistan, dit Fawzia Koofi, ancienne vice-présidente du Parlement d’Afghanistan, est le pire pays où naître pour une fille.».

Voilà 3 mois, nous apprenions le 15 août que Kaboul, capitale de l’Afghanistan, était tombée entre les mains des milices fondamentalistes talibanes, après une campagne éclair dont chaque étape était suivie de violences, de meurtres et d’exactions envers la population afghane, et au 1er plan les femmes.

Dans toutes les villes, c’était le même scénario. : pendaisons à l’entrée de la ville, ouverture des prisons et incorporation des prisonniers dans les troupes d’occupation, réclamation auprès des autorités de listes des filles de plus de 14 ans et de veuves de moins de 45 ans, qui seraient données non pas en mariage mais en salaire aux combattants.

Puis les Etats- Unis se retiraient le 31 août, livrant de la façon la plus honteuse les Afghans aux fondamentalistes devant lesquels ils s’étaient inclinés, ne demandant comme prix de leur retrait que d’avoir la paix et la préservation de leurs biens et de ceux de leurs amis, sans un mot pour les afghans et les afghanes, et laissant sur place toutes leurs armes.

La Chine et la Russie couvaient le nouveau régime fondamentaliste d’un regard amical et concupiscent.

Bientôt, début septembre, c’était le Panjshir, la région du nord, base historique des moudjahidines du commandant Massoud qui tombait sous la pluie de bombes des hélicoptères et des drônes pakistanais, venus en renfort des taliban. Morts, paysans et villageois chassés de leurs maisons, exode vers des camps de fortune.

Cependant les fonds de la banque centrale étaient gelés, mettant les taliban dans l’obligation d’offrir au monde une image présentable. Et voilà que l’on parlait de taliban : 0, de taliban modérés, de gouvernement « inclusif »…Mensonges, mêmes rengaines que celles entendues dans les années 90 lors des « années de plomb ».

Aujourd’hui, où en est-on ?
Les femmes ne peuvent plus travailler, elles sont terrées chez elles, avec leurs enfants. Les petites filles ne peuvent plus aller à l’école, ni les jeunes filles au lycée.

Les écoles et lycées ont été dévastés. Ceux que notre association NEGAR a construits ont été squattés et sont devenus des centres de formation pour les taliban. Les images que nous avons reçues de notre lycée de filles de Bozorak montrent des bibliothèques saccagées, des livres déchirés, des meubles fracassés, des toilettes vandalisées.

En 3 mois les taliban ont montré leur vrai visage. Ils ont supprimé tout ce qui soutenait les droits des femmes.

Le ministère des droits des femmes est supprimé. Pire le sinistre ministère de la répression du vice et de la promotion de la vertu, chargé de surveiller l’application de la loi islamique, est de retour, et s’est installé dans les locaux du ministère des droits des femmes. Sinistre ironie !

Les feuilletons télévisés montrant des femmes sont interdits.

Les femmes journalistes doivent porter le voile islamique à l’écran. Et d’ailleurs elles ont disparu des écrans.

Les femmes travaillant dans les services publics sont toujours écartées de leurs postes.

La suppression de la Constitution de 2004 est à l’ordre du jour, cette constitution pour laquelle les afghanes se sont tellement battues, en particulier pour y faire entrer le fameux article 22 du Chapitre II qui dit : « Les citoyens afghans hommes et femmes ont des droits et des devoirs égaux au regard de la Loi. »

Or, depuis 20 ans, les femmes afghanes qui sont, ne vous y trompez pas, aussi féministes que nous, avaient considérablement avancé dans leur autonomie et profité de leurs droits, de tous leurs droits.

Elles étaient devenues médecin, magistrates, ingénieures, journalistes, artistes, elles avaient aussi trouvé leur place dans l’armée, la gendarmerie, la police, elles pilotaient des avions…Le secteur des médias avait explosé, des dizaines de station de radios et chaînes s’étaient créées et elles y avaient toute leur place !

Voici les chiffres de l’année dernière : 3,5 millions de filles scolarisées, 100 000 femmes dans les universités publiques et privées, 1 millier devenues cheffes d’entreprise, 500 femmes juges et procureures, 12 000 femmes dans la police, l’armée. Tout cet élan interrompu !

C’est cette génération formidable que les talibans désignaient il y a deux jours par l’expression de « génération perdue ».

A l’arrivée des taliban, les femmes ont tout de suite compris ce qu’elles avaient à perdre, et combien cela serait effroyable.

Car les taliban qui ne forment pas un groupe homogène ont en commun, et aussi avec Daesch, la haine des femmes. Les femmes doivent être maintenues dans la dépendance et l’humiliation.

Et à cet égard, la religion extrémiste qu’ils professent n’est qu’un outil d’un asservissement du peuple, qui commence par les femmes. Asservir les femmes, les invisibiliser, les sortir de la société les cantonner à la reproduction et au service sexuel, c’est asservir la population afghane tout entière et la conduire à la soumission, à l’obscurantisme. Et c’est bien le projet à l’œuvre.

Les afghanes malgré la peur, malgré les risques manifestent dans les rues, sous la surveillance armée des taliban. Elles nous parlent et nous disent sur leurs pancartes:

« Notre parole est notre arme ». « Pas de reconnaissance des taliban. »

Les jeunes filles du lycée Rabia Balkhi qui manifestaient en octobre devant leur lycée, tremblantes de peur devant les menaces des taliban disaient ainsi sur leurs pancartes :

« Ne brisez pas nos stylos, ne brûlez pas nos livres, ne fermez pas nos écoles. » Ou encore « L’école est l’identité humaine. »

Ecoutons-les, entendons-les. Ecoutons leur courage qui est celui du désespoir. Les pires nouvelles nous arrivent ces derniers jours.

Ce sont 4 jeunes femmes activistes dont une amie féministe Frozan SANFI, trompées par des propositions d’évacuation vers les EU, qui sont tombées dans un guet-apens et ont été assassinées aux portes de la ville de Mazar-i-Sharif. Leurs corps méconnaissables.

Ce sont des manifestantes, à Kaboul, qui se sont retrouvées encerclées par des taliban au lieu de rendez-vous de la manifestation pourtant tenu secret, et qui ont reçu des menaces « Nous allons vous tuer ainsi que vos familles ». Des taliban ont infiltré leur réseau malgré les précautions. Sans doute des ami.es militant.es arrêté.es, torturé.es en prison, contraintes de dénoncer leurs camarades.

80 personnes ont été emprisonnées à Mazar, et on sait les passages à tabac et la torture par électrochoc

La société civile est en train d’être étouffée.

Maintenant la faim s’installe, des millions d’enfants – 3,2 millions d’enfants de moins de 5 ans – vont avoir faim. Des petites filles sont vendues en mariage pour une dot par leurs parents criblés de dettes et qui n’ont plus de quoi manger.

La neige – le fameux général hiver – est arrivée. Le manteau blanc recouvre les montagnes et Kaboul. Comment vont-elles supporter la faim, le froid et l’horreur ?

Alors, non, tout n’est pas perdu. La résistance s’organise. Cette jeune génération aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Afghanistan qui est éduquée, sait communiquer, veut résister et arracher son pays aux griffes des milices talibanes fondamentalistes.

Aidons-les, disons-leur notre solidarité.

A tous les afghans et afghanes de Marseille, qui êtes peut-être ici aujourd’hui avec nous, bienvenue parmi nous. Ensemble, nous allons continuer à nous battre pour les femmes et la société afghane.

Il y a 20 ans, en 2002, dans Kaboul libérée, nous nous retrouvions quelques observatrices étrangères (dont quelques marseillaises) et 300 femmes afghanes venues participer à la 2è Conférence des droits des femmes organisée par NEGAR.

Parmi tous les messages, celui qui me revient aujourd’hui est : « Continuez vos combats ! Quand vous avancez, vous avancez pour nous ! » Et aussi ce mot : « Ne nous oubliez pas ! »

Non aujourd’hui, comme il y a 20 ans, n’oublions pas les femmes afghanes. En luttant contre l’obscurantisme, les femmes afghanes luttent pour nous-mêmes et nos filles !

Pour NEGAR, 3 objectifs de lutte sont essentiels :

  • –  Non, à la reconnaissance du régime des milices talibanes,
  • –  Retour de l’aide humanitaire européenne,
  • –  Accueil digne des réfugié.es.TASCHAKHOR. Merci.

Je remercie de leur présence le Maire et les élu.es de Marseille, Nathalie Tessier, déléguée aux droits des femmes en particulier, et de me permettre de m’exprimer ici aujourd’hui au nom de l’association NEGAR-Soutien aux femmes d’Afghanistan, association créée en 1996, lors de la 1ère prise de pouvoir des milices talibanes à Kaboul, par une militante activiste et combattante franco- afghane, Shoukria HAIDAR.

Je remercie les militantes et activistes organisatrices de la manifestation unitaire d’aujourd’hui en faveur de la Journée Internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, de me permettre de m’exprimer au départ de cette manifestation, montrant par là que les violences que subissent les femmes partout dans le monde, nous touchent toutes, au plus profond de notre conviction universaliste.

Je salue les amies engagées avec NEGAR pour les femmes d’Afghanistan, depuis les années 90 et 2000 que je reconnais ici, et Marie-Arlette Carlotti qui est présente. Merci d’être là à nouveau.”

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