
Adeline Gouttenoire est professeure de droit à l’Université de Bordeaux et présidente de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance en Gironde. Dans l’affaire du meurtre de Chahinez Daoud, elle est également l’administratrice ad hoc de l’enfant du couple, âgé aujourd’hui de neuf ans et qui avait cinq ans au moment des faits. Elle répond à nos questions sur les droits de l’enfant victime de féminicide conjugal et sur le rôle et les missions de l’administrateur ad hoc.
Propos recueillis par Fatima Abderrebi
Qui peut être administrateur ad hoc ?
Toute personne qui manifeste un intérêt particulier pour la cause des enfants peut exercer en qualité d’administrateur ad hoc. Pour cela, il faut être inscrit sur la liste de la Cour d’appel de son ressort.
En quoi consiste son rôle ?
L’administrateur ad hoc est nommé pour représenter l’enfant dans une procédure judiciaire lorsque ses représentants légaux n’assurent pas une préservation suffisante des intérêts de l’enfant, soit parce qu’ils sont dans l’incapacité de le faire, lorsqu’ils ne le souhaitent pas ou lorsque leurs intérêts sont en opposition avec ceux de l’enfant (par exemple, parce qu’ils sont les auteurs de l’infraction).
Dans un cas de féminicide conjugal, l’administrateur ad hoc représente l’enfant commun de la personne poursuivie et de la victime. Dans mon cas, je représente l’enfant de Mounir Boutaa et de Chahinez Daoud. Dans ce type d’affaire, les juges considèrent qu’il est préférable que l’enfant soit représenté de manière autonome, par une personne extérieure à sa famille. Cela peut être plus confortable pour l’enfant de s’exprimer librement avec une personne extérieure, plutôt qu’avec sa famille qui vit en permanence avec le drame. Mais je travaille avec l’enfant et sa famille. Il s’agit plutôt de créer un climat positif pour mettre en place un accompagnement serein et une relation de confiance.
Comment se passe l’accompagnement de l’enfant dont la mère a été tuée ?
Il y a d’abord toute une période qui permet d’évaluer la situation de l’enfant et de prendre la meilleure décision concernant la prise en charge. S’il y a une solution au sein de la famille, le placement se fait dans la famille. C’est ce qui s’est passé avec cet enfant.
Il y a évidemment une prise en charge médicale et psychologique : tout est fait pour que l’enfant puisse continuer de vivre plus ou moins normalement.
Pour cet enfant, j’ai été désignée assez tardivement par le juge. Mon rôle d’administratrice ad hoc n’est pas celui d’un travailleur social, ni d’un professionnel de santé, ni d’un psychologue. Je suis dans un rôle objectif : lui expliquer la situation, ce qui se passe pour lui avec les différents acteurs qui sont présents autour de lui, et l’accompagner au mieux dans la procédure. L’administrateur ad hoc désigne un avocat pour exécuter les actes de procédure, notamment la constitution de la partie civile, et plus généralement la défense des intérêts de l’enfant.
Dans certains départements, un « protocole féminicide » a été mis en place pour les enfants victimes. En quoi consiste-t-il ?
Lorsqu’un féminicide laisse des enfants désemparés et traumatisés, on applique le protocole « Féminicide ».
Lors de ce procès le protocole Féminicide a été appliqué pour la première fois à Bordeaux.
Le Procureur de la République prend en urgence une ordonnance de placement provisoire des enfants. Ils sont alors confiés au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour évaluation. Pendant cette période les enfants sont accompagnés par les services sociaux mais également par une équipe médicale psychologique.
Comment se passe la procédure pénale ? L’enfant peut-il être entendu ?
En pratique les enfants ne sont pas entendus en Cour d’Assises. Le juge d’instruction peut demander à entendre l’enfant, si cette audition est utile et opportune au regard de l’état de l’enfant. L’administrateur ah doc peut en revanche être entendu par la cour d’assises pour rapporter les propos de l’enfant comme cela a été le cas dans ce procès.
Quel est votre rôle dans le procès civil pour l’intérêt de l’enfant ?
Outre sa responsabilité pénale, l’auteur des faits engage sa responsabilité civile. Il peut donc être poursuivi au civil afin d’obtenir des dommages et intérêts pour l’enfant. En principe, l’audience civile a lieu après l’audience pénale.
Dans l’affaire du meurtre de Chahinez Daoud, cette audience s’est tenue juste après le procès pénal.
Trois points essentiels pour l’enfant sont traités au civil : d’abord, les dommages et intérêts, établis en fonction de l’évaluation du préjudice subi par l’enfant. Ensuite, dans un cas de féminicide, la question du retrait de l’autorité parentale du père est posée : le juge est désormais obligé de prononcer ce retrait, sauf si l’intérêt de l’enfant exige qu’il ne le fasse pas (mais il faut alors des motifs particuliers). Enfin, il est possible de demander au juge le changement de nom de famille de l’enfant. Dans cette affaire, cette dernière a été acceptée : l’enfant pourra désormais porter le nom de sa mère.
Mounir Boutaa a fait appel de sa condamnation. Quel impact cela a-t-il eu sur la famille, et notamment sur l’enfant ?
Sa décision de faire appel a eu un impact émotionnel fort sur la famille et sur l’enfant, car même s’il ne comprend pas tout, il sait que le procès en appel sera difficile. Il faudra replonger dans l’histoire, entendre à nouveau les faits, revivre les sentiments douloureux.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite devenir administrateur ad hoc ?
C’est une mission extraordinaire, mais difficile. Il faut une motivation solide ! Car cela reste du quasi bénévolat, avec des conditions d’exercice assez compliquées et des moyens très insuffisants. La grande difficulté de cette mission est le manque d’attractivité, il y a donc un manque d’administrateurs ad hoc.
La mission est indemnisée et les frais de déplacements sont pris en charge, mais à ce jour, il n’existe pas de statut particulier ni de formation. C’est justement une demande de la part des administrateurs ad hoc et du Défenseur des droits auprès des enfants que de mieux reconnaître ce rôle.
Un grand merci à Adeline Gouttenoire d’avoir pris le temps, d’échanger avec moi sur le rôle de l’administrateur ad hoc , ses missions, les conditions d’exercices, et particulièrement dans l’affaire Chahinez. Ces échanges en plus de me rappeler l’importance de l’administrateur ad hoc auprès des enfants , m’ont fait prendre conscience qu’il est important de pointer les besoins en matière de formation, d’attractivité qui sont déterminante pour apporter une réponse à la protection de l’enfance.