Pourquoi l’Église reste un bastion du patriarcat

Après trois ans d’enquête, la CIASE, Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique, a remis son rapport le 5 octobre dernier. Il montre que l’Église reste un bastion du patriarcat.

Après trois ans d’enquête, la CIASE, Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique, a remis son rapport le 5 octobre dernier. Il montre que l’Église reste un bastion du patriarcat.  

330 000 victimes : personne ne s’attendait à un tel chiffre. L’estimation du nombre de victimes des prêtres ou laïcs en mission cléricale, de 1950 à aujourd’hui, a été obtenue par modélisation. La CIASE s’appuie en effet sur une enquête de l’INSERM sur les violences sexuelles, menée sur un échantillon large dans la population générale. Après la famille, l’Église catholique est le lieu où ces violences sont le plus exercées.

Ce rapport permet de commencer à comprendre par quels mécanismes ces crimes ont pu être rendus possibles et se perpétuer dans une quasi-impunité. Il révèle l’ampleur des crimes, dénonce un système et la gestion calamiteuse qui en a été faite : méconnaissance de la gravité des faits, difficulté à croire les enfants comme les religieuses, souci de protéger les clercs, dissimulation et silence…

Parmi les causes de l’ampleur et de la dissimulation des crimes, le rapport pointe un entre-soi d’hommes célibataires, le cumul et la confusion des pouvoirs sans contre-pouvoir, le tabou et la culpabilisation de la sexualité, le secret de la confession, l’absence des femmes dans les lieux de décision,… 

La domination masculine qui s’exerce sans frein dans l’Église augmente toutes les violences sexuellesLe droit catholique, dit droit canon, institue en effet un système où les clercs sont supérieurs aux femmes et aux enfants et cumulent tous les pouvoirs

Dieu est masculin

L’imaginaire catholique est façonné par des récits patriarcaux, où Dieu est un père, mais aussi un fils et encore un époux. Dieu est donc masculin : seules les personnes pourvues d’un pénis peuvent le représenter. On les appelle les clercs, les prêtres, les évêques, le pape… Cette homosocialité décide pour les femmes et les assigne à la maternité, au service et à l’obéissance. 

L’Église apparaît donc comme matrice de stéréotypes sexistes dans nos sociétés, car cette assignation est encore bien présente ; elle autorise des violences et des humiliations si les femmes ne se coulent pas dans ces modèles. 

Le rapport de la CIASE révèle que les enfants sont eux aussi dans des situations de dépendance, à la fois éducative et affective. Ils doivent être obéissants, ils ont confiance dans l’autorité et cherchent de plus à plaire à ceux qui s’occupent d’eux. Dans l’ignorance de la sexualité et des mots pour le direles enfants et les femmes sont vulnérables ; la porte est ouverte à tous les abus. Le cas des religieuses agressées et violées, étudié par la CIASE, fait le lien entre cette situation de soumission des femmes et celle des enfants, dans l’Église. 

Le rapport de la CIASE a fait tomber cette invisibilisation de la domination des enfants et des femmes dans l’Eglise.  

Ce système de fonctionnement — dépendance des un·es et domination des autres — permet aux clercs de profiter de leur aura pour manipuler et s’approprier le corps des femmes et des enfants. Le rapport de la CIASE a fait tomber cette invisibilisation de la domination des enfants et des femmes dans l’Eglise.  

Dans la foulée, la CIIVISE, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, instituée sur un format inspiré de celui de la CIASE poursuit ses travaux sous la direction d’Édouard Durand et de Nathalie Mathieu. Elle vient de lancer, le 11 octobre, son appel à témoin “Ensemble sortons du silence” pour toutes les victimes et leurs proches. Dans ses pages de conclusions, la CIASE écrit que la CIIVISE :

« pourra en particulier se prononcer de manière plus approfondie que la CIASE :

  • sur l’étendue exactes des violences sexuelles qui ont été commises dans notre société et l’ensemble de ses composantes ; sur leurs causes, leurs conséquences, les responsabilités dans leur couverture et leur dissimulation ;
  • sur la capacité des politiques et institutions publiques à prendre assez tôt la mesure de fléau et sur les mesures additionnelles à adopter pour le prévenir et le traiter efficacement ;
  • sur la réponse en termes de soins et de réparation à mettre en œuvre pour répondre de manière adéquate à ce qu’ont vécu les personnes aux victimes : comment leur rendre justice et réparer autant qu’il est possible le mal qui leur a été fait ? À cet égard il est difficile d’imaginer que, dans le respect de la diversité des institutions et des principes communs ne soient pas proposés puis édictés. »

Le relais est donc passé à la société civile. Quatre ans après Meetoo, ce rapport nous concerne toutes et tous, les mouvements féministes en premier lieu.

Pour aller plus loin, nous vous invitons à regarder l’audition de Jean-Marc Sauvé, Président de la CIASE, à l’Assemblée nationale le 20 octobre 2021.

Par Agnès de Préville et Sabine Sauret

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